mercredi 25 décembre 2013

A-t-on perdu de vue la 5ème Bis Compagnie ? (n° 7)

Bien sur que non ! Ils sont tous là !
Je vous les présente sans pouvoir les nommer, car seul mon grand-père est identifié.

Voici les 15 compagnons d'André, apprentis marins de la 4ème escouade, du 8ème groupe de la 5ème Bis compagnie, du 2ème dépôt des équipages de Brest.

POPEYE le Canonnier

Pour l'instant, je ne peux que leur attribuer un surnom et suggérer leur spécialité (1).

Si quelqu'un les reconnaît, merci de me le faire savoir.

Quelles seront leur affectation fin janvier 1914 et leur destinée durant la grande guerre ?
Peut-être fusiliers marins durant les dures batailles de l'Yser sur le front belge ou sur le Charlemagne dans les Dardanelles, sous-marinier sur le Curie, torpilleur ou clairon sur le Bouclier en mer du Nord, boulanger-coq (2) sur le Victor Hugo, timonier (3) sur le Léon Gambetta ou compagnons d'André sur le Jules Ferry en Méditerranée et dans l'Adriatique ?

Et lesquels parmi ces 15 gaillards seront les complices d'André, pour jouer un très mauvais tour à un instructeur trop zélé à leur goût ?  Ceci est une autre histoire et fera l'objet d'un prochain récit.

Aimée le Cuisinier
     
    L'apprentissage de marin ...
L’exercice physique occupe une place importante dans la formation des matelots. Marche, course, saut en longueur et en hauteur, montée de corde, traction, lancer de poids, natation et plongeon figurent parmi les disciplines à maitriser.

Adrien Electricien
Antonin Fusilier Marin
Vidocq Boulanger-Coq

Prosper le joyeux  Clairon

L’hygiène est tout aussi importante et la théorie y consacre un chapitre entier. Les cheveux ne doivent pas excéder trois centimètres et les barbes six centimètres tout au plus. 

On notera qu’aucune restriction ne concerne les moustaches, alors très prisées !
Sébastien Mécanicien
Gaston Télégraphiste

Et que font-ils avec leur drôle de balai dont certains l'arborent  fièrement sur l'épaule ?



Martin Fusilier Marin
Félicité Infirmier
Armand l'Artificier

Jacquot Manœuvrier (4)
Marco Torpilleur

A l'approche de Noël 1913, la plupart de ces hommes auront droit à quelques jours de permission pour rejoindre leur famille. A cet instant, ils n'imaginent pas les cinq prochains Noël de guerre que l'Europe va vivre !



Gaspard l'Artificier
ANDRÉ HUREAU, charpentier
José Fourrier














Dans quelques  années, lors des repas de Noël et des retrouvailles avec ses trois frères chez leur mère, André en aura des souvenirs à raconter de sa vie de matelot !


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 (1) Quelles sont les différentes spécialités et à quels services appartiennent-elles à bord ?

  1. Service « Conduite du navire » : manœuvriers (4) et pilotes
  2. Service « Artillerie » : canonniers ; artificiers et armuriers
  3. Service « Corps de débarquement » : fusiliers et clairons
  4. Service « Torpilles - Electricité : torpilleurs ; électriciens et télégraphistes
  5. Service « Sécurité » : charpentiers,
  6. Service « Machines » : mécaniciens et chauffeurs.
  7. Service « Approvisionnements » : fourriers ; boulangers-coq (2); tailleurs ; cordonniers ; cuisiniers et maîtres d’Hôtel
  8. Service « Sanitaire » : infirmiers
Extrait du Manuel des recrues des Equipages de la flotte d’André - édition 1913 -
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(2) Les boulangers-coqs sont chargés de la fabrication du pain et de la cuisine des aliments.
 
Dictionnaire culturel en langue française, sous la direction d’Alain Rey, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2005, T. I., p. 1854, 2nd sens.
  COQ, n.m. (1671 ; emprunt. au néerlandais kok, issu du lat. tardif cocus, altér. du lat. class. coquus « cuisinier » → queux).
   - Mar. Cuisinier à bord d’un navire. Le coq est dans la cambuse. – Loc. (plus courant). MAÎTRE-COQ, le cuisinier en chef. → queux. Des maîtres-coqs. » 
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(3) Dans la marine de guerre, le timonier est le marin chargé de seconder l'officier chef du quart passerelle d'un bâtiment (gestion des informations nautiques et des cartes, entretien et mise en œuvre des matériels de navigation et de passerelle, etc) ainsi que des moyens de transmission par signaux flottants (pavillons), signaux à bras, signaux lumineux "scott" (projecteurs) et radiotéléphonie. Contrairement à une idée reçue, dans la marine nationale le timonier ne tient pas la barre ; c'est le rôle du manœuvrier (4)

dimanche 8 décembre 2013

A l’Ouest, il y a du nouveau pour André (récit n°6)

Après deux ans de Tour de France (voir récit n°4), André est devenu un expert en couchage de tout genre : dans un fossé à la belle étoile, ou sur la paille d’une remise. La nuit dans un hamac, il connait, il l’a expérimenté de Marseille à Alger deux ans plus tôt.
« Cette première nuit sur un bateau chamboula ma conception du sommeil pour toujours. Dans cette coquille d’insomnie, ce n’est pas que je dormis mal, je dormis éveillé dans le rêve de quelqu’un qui dorlote un fantôme de cuirassé dans son hamac. Revenu de Brest, je mis du temps à me réhabituer dans un lit. Le hamac était un bateau dans un bateau.»
Yann Queffélec – Dictionnaire de la Bretagne – 2013.

Les apprentis marins couchés dans leurs "branles" avec araignées
André est donc plus étonné qu’impressionné quand il découvre l’immense dortoir sans lit ni armoire du 2ème dépôt de Brest (récit n°5).
Dans les chambrées des apprentis du deuxième dépôt, pas de lit mais des « branles » - surnom des hamacs (1) - crochés pour la nuit avec une extrémité attachée au mur et l’autre à des balustres fixés au sol comme en mer à bord dans les postes d’équipage. Il faut bien s’habituer à la future vie à bord, le ressac et le changement de bordée en moins ! Dans la journée, les hamacs sont repliés et rangés dans des coffres.
Ces lits suspendus se composent d’un double fond en toile à voile muni d’œillets à chaque extrémité, à l’intérieur on y glisse un matelas de laine et de crin ; les allergiques et les chatouilleux s’abstenir.  

Je cite un extrait du Manuel des recrues page 33, appréciez le vocabulaire et la description minutieuse de l’auteur : «deux organeaux sur chacun desquels sont bagués par le milieu neufs bouts de ligne formant les araignées. Un des deux organeaux porter en outre un raban ; c’est celui que l’on met du côté des pieds ; chaque bout des araignées doit être terminé par un œil, épissé de façon à ce que la longueur diminue du milieu aux bords. Tous les brins de l’araignée doivent ainsi forcer l’ensemble.» Et pour passer une bonne nuit à l’abri du froid de l’air marin, on y ajoute «une ou deux couverture de laine suivant la saison.»

Sur les étagères, des espèces de "meule de fromage" : le sac
Sur la photo de la chambrée, outre l’alignement des marins dans leurs hamacs et dans leurs marinières « intemporels et indémodables » qui font toujours, un siècle plus tard, le bonheur d’Armor-Lux,
remarquez ces baluchons en forme de meule de fromage posés sur des étagères au-dessus des têtes des marins.

clin d’œil à Hergé

Le rangement du baluchon … Un véritable casse tête pour André !

Pliage et arrimage des effets : faux plis interdits !

Dans sa chambrée de Brest,  André Hureau s’entraine,  maintes et maintes fois, à faire son paquetage. Sa théorie y consacre plusieurs pages, dessin à l’appui.

Inspection des sacs : ça ne rigole pas ! (doc marius-bar)













C’est qu’il faut de la méthode pour ranger dans cette pièce de toile à enrouler sur elle-même tous les effets réglementaires du soldat ! Ceux-ci doivent être brossés soigneusement et retournés à l’envers avant d’être pliés, puis classés par catégorie et paquetés dans des serviettes. Après de nombreuses remontrances, André a appris à être prévoyant : à l’entrée de son grand sac il a placé un paquet contenant un rechange complet (tricot, chemise, vareuse et pantalon de fatigue) et un autre avec sa tenue d’inspection et de terre.

Extrait du livret de solde d'André : total dette de 163,70 fr
Les habits sont payés via une retenue mensuelle d’habillement, qui se monte à 0F25 par jour et qui est déduite de la solde, laquelle, pour un apprenti-marin, se monte à 0F55 quotidien. «En subissant cette retenue, le marin arrive à payer son sac de 163F70 en vingt-deux mois», expliquent les rédacteurs de la théorie. André devra attendre la fin de l’été 1915 pour l’avoir payé en totalité.



 Que trouve-t-on dans ce sac ? 
Vareuse en molleton bleu
André et sa tenue













Il y a bien sûr, les vêtements : vareuses en molleton bleu, paletots, pantalons de toile blanche, de chauffe (bleu), de fatigue (rousse), et de drap, tricots de laine "Jersey" et chemises, caleçons, chaussettes et demi-bas, vestes de chauffe, cols amovibles, voire chapeau de paille et casque en liège pour les contrées chaudes uniquement.
Les brodequins du marin
Le pantalon
Le sac contient aussi le nécessaire de toilette, la brosse à chaussures, à dents (3) et celle à vêtements, la tasse, l’assiette et les couverts.

Les brodequins et les coiffes sont placés sur les côtés, de part et d’autre du sac. 

Le col amovible vu de dos













Le marquage des effets !

Chaque objet et chaque vêtement sont marqués du numéro matricule  de son propriétaire (105960 pour André), suivi du chiffre indicatif de son dépôt (2 pour Brest).

numéro matricule d'André
Ce numéro doit être imprimé au moyen d’une plaque de marquage délivrée à chaque apprenti. André s’est servi pour cela d’un tampon ou d’une brosse imprégnée d’une encre noire indélébile et non corrosive ou de peinture blanche sur les effets de drap. Pour les souliers, les brosses et les ustensiles de cuisine, il a utilisé un poinçon en acier donnant des caractères de 6 mm de hauteur, et pas un mm de plus. L'emplacement de ce marquage relève également d’une précision toute militaire, l’improvisation est inimaginable, et gare au contrevenant : «le paletot : entre les épaules, à hauteur du milieu de l'emmanchure ; serviettes de propreté : dans le coin supérieur à gauche, au-dessus de la raie rouge horizontale ; les brodequins : en dedans et sur le côté droit de la tige».

Illustration de la disposition des effets avant pliage dans le sac (extrait du manuel d'André)
«Les sacs doivent toujours  être prêts à tout moment pour l’inspection.  Le marin, en bleu avec bonnet de travail, se tient à côté de son sac, ayant celui-ci à sa droite et à hauteur des tricots. De la main gauche, il tient son livret de solde, le nom tourné vers l’officier qui fait l’inspection.»  
Extrait du manuel des recrues



On ne rigole pas dans "La 5ème Bis Compagnie" !

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(1) le Hamac, surnommé « branle » 
 
http://fr.wikipedia.org/wiki/Hamac#Dans_la_marine

Après leur découverte par la flotte de Christophe Colomb en 1492, les Espagnols ont introduit l'usage des hamacs à bord des navires1. Le hamac, surnommé « branle », permettait aux matelots de dormir dans un certain calme, une partie des mouvements des navires étant absorbée par les cordages (les "araignées") qui le suspendaient. Ils étaient partagés entre chaque bordée d'une demi-journée chaque (les tribordais et les bâbordais), les uns laissant leurs places aux autres pour se reposer et réciproquement. De plus, pliés serrés et rangés sur le pavois des bateaux de guerre, ils contribuaient à se protéger des projectiles lors des attaques ennemies (d'où l'expression, « branle-bas de combat »).
Dans la marine nationale française les hamacs ont définitivement été remplacés par les couchettes au début des années 1970. Les couchettes étant en place à demeure, les repas ne pouvaient plus être pris dans les postes d'équipage et les bâtiments furent équipés de cafétérias ou de salles à manger. Le passage à la rampe et le plateau alvéolé avaient remplacé le plat de huit, la gamelle et le bidon.

(2) L’histoire des uniformes des marins de la Royale :


En 1895, le jersey est imposé en guise de veste, tandis qu’en 1901, le bonnet cesse d’être en laine et est confectionné en drap bleu foncé. La circulaire du 12 mai 1911 précise que la chemise de toile blanche avec collet bleu est remplacée par un col amovible de 45 cm de largeur au tombant est et de 25 cm à l’encolure et le bonnet a pris sa forme définitive.

L’apport de La chemise en coton (marinière) fut une véritable innovation moderne : elle se composait de fils écrus et de fils teints à l’indigo formant des raies alternatives blanches et bleues, respectivement de 20 mn et de 10 mn. Son aspect n’a pas changé depuis

(3) la Brosse à dents devient obligatoire en 1876 avec brossage au moins une fois par semaine !

mardi 26 novembre 2013

Tonnerre de Brest ! (récit n°5)

Il y a 100 ans, le mercredi 26 novembre 1913, 

André rejoint son affectation : le 2ème dépôt de la flotte des équipages à Brest.





                      L'arrivée des bleus au 2ème dépôt (1)





Durant l'été 1913, la loi augmente la durée du service militaire de  2 à 3 ans et anticipe le départ sous les drapeaux d'un an.
Adieu, ciseaux à bois, étau, pot à colle, maillet, scie égoïne, rabot ou wastringue, ...  A 20 ans, André doit s’y résoudre, il entame, ses classes et son second apprentissage, celui d’apprenti-marin.

Fin janvier 1914, il rejoindra son affectation définitive sur un navire militaire, torpilleur ou croiseur ; mais surtout pas dans un sous-marin. Être enfermé, dans une carlingue d’acier exposée aux vapeurs de mazout, ce serait un véritable supplice pour un menuisier si sensible aux essences boisées. Les récits racontant les premiers exploits des sous-mariniers ne l’ont pas fait rêver.
Un hydravion, de toile et de bois


Par contre, lors d’une projection d’actualités au cinéma, l’œil du charpentier fut attiré par des engins volants amphibies, construits moitié en bois, moitié en  toile,  et que l’on nomme «  hydravions ».




Le quai de la gare du Lude (3)
Après cette période militaire, il rêve de s’installer artisan au Lude, mais il faudra encore attendre trois ans. « Avec un peu de chance,  je serai libéré avant la fin de l’année 1916 », a-t-il dit la veille, à Marie en l’embrassant tendrement sur le quai de la gare du Lude.



Lui, comme Marie, ignore à cet instant, qu’il lui faudra attendre trois ans de plus. Deux mille  cent sept jours seront nécessaires avant de s’installer à son compte avec sa fiancée. Mais au fait, ma grand-mère sera-t-elle cette Marie ? Cela est une autre histoire. Revenons à Brest.

Ce qu’André ignore également, ce mercredi de novembre 1913, est que sa passion pour le bois, lui sera très utile dans la marine.

André parmi les bleus : l'incorporation.

Le 2ème dépôt
A son arrivée, André et ses compagnons sont visités par le médecin major, vaccinés, incorporés et habillés. Au dépôt, le groupe d'officiers et d'instructeurs spéciaux s'occupe de l'incorporation des nouveaux matelots et leur donne  les premières notions d'instruction militaire et de formation maritime. 

Le livret de solde d'André
La formalité de l'incorporation comprend pour chacun l'attribution d'un numéro matricule (2) puis l'ouverture à son nom des trois documents suivants : un livret de solde, un livret matricule et un livret médical.






Inscriptions écrites par André
A son incorporation, André se voit attribuer un n° matricule : 105960-2 (2).



André fin 1913- début 14 à Brest





Durant sa période d’apprenti marin, il est affecté à la 5ème bis Compagnie – 8ème groupe – 4ème escouade  du 2ème dépôt.









Outre les trois livrets, Grand-père reçoit une théorie intitulé :  
« Manuel des recrues des équipages de la flotte ».
Quel plaisir de feuilleter ce manuel de mon grand-père !

Par bonheur, ce livret m’a été transmis intact. Je prends un grand plaisir à le feuilleter, à le lire et à le  relire.

Tout est expliqué dans ce livret d’apprentissage :
les connaissances générales, les formations militaires, maritime et physique, jusqu’aux conseils d’hygiène.
André a du travail sur la planche !

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Le récit n°6 sera consacré à ce Manuel d'apprentissage
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(1)   Le 2ème dépôt des équipages de la flotte est le nom officiel de la caserne des marins, elle a aussi été appelée " La Cayenne " en raison de son utilisation pour loger des colons de retour de Kourou. Elle était située dans le quartier de Recouvrance et surplombait les bassins de Pontaniou sur la rive droite de la Penfeld, construite de 1766 à 1767, rehaussée de deux étages de 1842 à 1845, elle a été détruite par les bombardements de 1942/43. Un jardin public l'a en partie remplacé mais son environnement est resté identique, les bombes ayant épargné les habitations des rues Jean Bart et de Pontaniou. Au 2ème dépôt séjournaient les marins en attente d'affectation, les jeunes recrues inscrits maritimes et les engagés volontaires pour le métier de la marine de guerre. On pouvait y loger 3200 marins. Quatres autres ports de guerre accueillent aussi les nouveaux marins : Cherbourg (1er dépôt), Lorient (2ème dépôt), Rochefort (4ème dépôt) et Toulon (5ème dépôt).

(2) Le numéro matricule. Chaque port de recrutement enregistre les marins au fur et à mesure de leur incorporation dans une numérotation à suivre (sans remise à zéro au 1er janvier de l’année). Ce numéro-matricule se présente sous la forme d’un nombre (pouvant être supérieur à 100.000 pour les ports de Brest et Toulon) suivi d’un chiffre indiquant le Bureau Maritime de recrutement (BMR).
   Pour André : 105960 – 2 désigne le 105960e inscrit à Brest (2ème dépôt).

(3) photo transmise par l'association "le Lude en images".



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Pendant ce temps tout semble calme à la frontière franco-allemande (HOHNECK -Alsace) ...
16 septembre 1913 : "Rencontre du 15e bataillon de chasseurs à pied français et 171e d'Infanterie allemand"

dimanche 24 novembre 2013

André HUREAU, à l'honneur dans Ouest-France


Dans Ouest France édition Sud Sarthe du 11 novembre 2013, vous trouverez un article consacré à ce blog :  Guerre 14-18 : un blog en mémoire du soldat ludois André HUREAU.

Pour le télécharger, cliquer sur le lien suivant : 
article ouest-france Guerre-14-18 : un blog en memoire du soldat ludois- André HUREAU


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Prochain récit : rendez-vous mardi 26 novembre pour le récit n°5.

samedi 2 novembre 2013

André était fait de ce bois-là ! (récit n°4)

Vous pouvez retrouver les précédents récits dans Archives du blog à droite de cet article
Mon grand-père, comme je l'ai connu.

Voici l’image qui illustre bien mes souvenirs d’enfance : 
mon grand-père André, travaillant le bois, légèrement courbé sur son établi. Bien avant que je m’intéresse à son parcours 14-18, il était,  pour moi, avant tout un menuisier. 

J’aimais pousser la porte de son atelier et y découvrir son antre d’artisan. Ces images sont imprégnées des bonnes odeurs de colle à bois et de copeaux fraichement coupés.







Sa dernière caisse à outils
Son pot de colle et ses rabots


Quel plaisir de le voir travailler cette matière si noble, de suivre le va et vient de sa varlope, flanqué de son béret et d’un gros crayon rouge posé à califourchon sur une oreille. Il avait fière allure avec ses  grosses mains si agiles. Ce que j’ignorais à l’époque, c’est que cette dextérité n’était pas innée, elle était l’œuvre d’un long apprentissage de toute une vie.

Ce n'est pas André, mais le geste est le même, le béret et le crayon également.













Dès son enfance, André bénéficie des cours du soir et de dessin dispensés par le directeur de l’école, Monsieur Crétois. A quatorze ans, en 1907, il est embauché comme apprenti-menuisier  dans sa ville natale.


Au Lude, chez l'artisan Monsieur Ridereau (en bas à gauche). André (en haut à gauche)

Les artisans du Lude au XIXe siècle employaient de nombreux compagnons du devoir. C’est probablement la raison pour laquelle beaucoup de jeunes y entamaient leur apprentissage au début du XXe siècle encore, malgré la crise du compagnonnage. André commence son apprentissage au Lude sous la direction de Monsieur Ridereau. L’atelier est situé sur le bord de la rue Basse. Parfois, en passant, les anciens camarades de classe, ceux qui ont poursuivi leurs études, se moquent du tâcheron qui travaille encore le soir, à la lumière d’une lampe à pétrole. 

André (à gauche) à 17 ans à Château-du-Loir. Remarquez la ceinture de flanelle et les sabots.

A 17 ans, il poursuit son apprentissage sur les bords du Loir chez un artisan menuisier de Château du Loir, et élit domicile chez son frère aîné Marcel. Les quatre frères sont restés proches de leurs parents, et les correspondances sont nombreuses : « Chers parents, Deux mots seulement pour vous donner de mes nouvelles qui sont toujours très bonnes … Votre fils qui vous aime. André. Le 22 août 1910 »

carte postale d'André à ses parents, en août 1910

En 1911, André part sur le trimard, le tour de France du compagnonnage à pied. Le voyage doit durer plusieurs années, le temps pour le jeune aspirant de découvrir des nouvelles techniques, de nouveaux employeurs et de mûrir jusqu’à pouvoir élaborer son chef d’œuvre. Cette création unique, à la fois belle et compliquée, lui donnera le statut de compagnon : pour André se sera un escalier.

André a fière allure !
Dans les différentes villes de France, l’accueil des compagnons n’est plus systématique. Bien souvent, André Hureau, parti avec un ou deux camarades, doit dormir à la belle étoile !
Dans leur poche, le passeport compagnonnique qui ne sera brûlé qu’à leur mort : il doit être tamponné dans chaque ville traversée, auprès de chaque employeur. Sur leur dos, la malle à quatre nœuds, la valise du compagnon : un grand mouchoir noué par quatre nœuds et passé dans une canne ! La précise caisse à outils se trouve à l’autre épaule.
Tous les compagnons  d’une même corporation se retrouvent chez la mère, une auberge devenue maison compagnonnique. La mère, c’est aussi le nom de la patronne des lieux. Elle héberge et nourrit l’aspirant, elle le conseille :
« J’ai été un peu malade et le soir le lit était bon » (extrait d’une lettre d’André).
André à Alger

Le Tour de France d’André Hureau l’amena en Indre et Loire : « En ce moment je fais des stalles d’église, je vous assure que c’est un joli travail, surtout pour la pose » écrit-il à sa famille le 28 août 1911. 
Plus tard, il traversa la Méditerranée et découvrit l’Algérie :
 « Tu vois cette poste ? Et bien ces grandes portes, c’est nous qui les avons conçues et installées ! ».
Bien des années plus tard, alors qu’il était au cinéma avec ma grand-mère, il reconnut aux actualités les portes monumentales de la poste d’Alger.




la poste d'Alger, on devine les grandes portes en bois au fond de l'entrée


André avec l'ensemble des compagnons (debout à gauche, les bras croisés avec melon et moustaches)
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Pour en savoir + sur le compagnonnage : http://fr.wikipedia.org/wiki/Compagnonnage
 

A noter : il existe en France plusieurs musées sur le thème du compagnonnage :
• Musée - Librairie du Compagnonnage, 10 rue Mabillon à Paris
• La Maison des Compagnons à Arras
• Le Musée des Compagnons du Tour de France à Bordeaux
• Le Musée du compagnonnage à Tours : http://www.museecompagnonnage.fr/
• La Cité des métiers et des arts à Limoges