Mercredi 22 juillet 1914, le calme avant la tempête...
Ce
matin, sur le pont avant du Jules, André
est de quart (de permanence).
André est de quart ce matin |
L’air
doux de l’été l’incite à la rêverie. Et quand il est de quart, André pense
souvent à ses tiers : à ses parents dans la Sarthe, à ses copains du
bistrot rue de l’Image au Lude, à Marie son amie pour la vie (voir les récits
n°5 et 9).
La mer est calme et transparente. Il aperçoit dans l’eau les reflets argentés d’un beau bar qui nage en ondulant. Des périodes de longues permissions étant programmées pour août-septembre, il s’imagine déjà titillant le brochet sur les bords de son Loir natal…
André avec ses copains au café rue de l'Image chez M et Mme Chauffour |
La mer est calme et transparente. Il aperçoit dans l’eau les reflets argentés d’un beau bar qui nage en ondulant. Des périodes de longues permissions étant programmées pour août-septembre, il s’imagine déjà titillant le brochet sur les bords de son Loir natal…
Au
Lude, Hélène - sa mère - se réjouit à l’idée de recevoir dans quelques semaines
son plus jeune fils. Pour l’occasion, elle invitera un dimanche ses deux frères
de Château-du-Loir. Pour les Hureau, comme pour beaucoup de famille, l’été 14
est un bel été. La presse relate bien l’agitation dans les Balkans… Mais Louis
Hureau - son père - préfère suivre dans L’Ouest-Eclair
le feuilleton du procès de la femme à Caillaux.
A
Toulon, au gré des descentes à quai, André suit dans L’Auto les résultats du Tour de France. Il a découvert ce journal
quand il était sur le trimard en suivant les exploits du jeune boxeur Georges
Carpentier. Son copain Albert, d’origine Belge, n'en finit pas de lui vanter les exploits d'un
certain Philippe Thys, qui s’apprête à gagner son deuxième Tour d’affilé.
Le belge Philippe THYS |
Plus
au Nord, dans la Baltique,
jeudi 23 juillet, le président de la République française Raymond Poincaré est reçu en
grande pompe par le Tsar de Russie… Le voyage sans encombre à bord du tout
nouveau cuirassé Le France - à peine
sorti de l’arsenal- est la fierté de la presse nationale.
Au
large de la rade de Toulon, vendredi 24 juillet, le Jules Ferry, en ligne de file derrière le Léon Gambetta et le Victor
Hugo, continue d’exécuter le programme prévu par l’Amiral : exercice
de tir suivi d’un débarquement sur les plages d’Hyères. Le Commandant Cuxac
accorde la double (2) et 0,050 kg de conserve de bœuf et 100 g de
pain à la compagnie de débarquement.
Soudain le ciel s’assombrit…
Et la
presse change de ton : l’Autriche
remet en question la paix en Europe - Est-ce la guerre ? titre et s’interroge L’Ouest-Eclair du samedi 25 juillet. L’Autriche-Hongrie vient en
effet d’adresser deux jours plus tôt un ultimatum à la Serbie. Le président du
Conseil, René Viviani, rentre d’urgence à Paris. Poincaré poursuivra sans lui son
voyage de Russie en Suède.
Dimanche
26 juillet, un seul titre barre les cinq colonnes de la une de L’Ouest-Eclair : L’Europe menacée d’une conflagration générale. La Serbie
accepte toutes les conditions demandées par l’Autriche, sauf une. Cela est jugé
comme insuffisant par l’Autriche-Hongrie. La guerre est inévitable entre ces
deux nations, d’autant que la
Russie, par le jeu des alliances, apporte son soutien
militaire à la Serbie.
A
Paris, le lundi 27 juillet, les syndicats organisent des manifestations contre
la guerre. Jean Jaurès prévoit de se rendre à Bruxelles au siège de
l’Internationale socialiste pour fédérer les partisans de la paix.
A Toulon,
le ton change également et les télégrammes de Paris se succèdent : toutes les
permissions sont annulées ainsi que les réparations prévues sur de nombreux
navires militaires basés en rade. Pourtant, la plupart des bâtiments sont
fatigués par l’entrainement massif et les manœuvres des derniers mois. Un coup de jeune ne serait pas superflu… Sur
le Courbet comme sur le Jules Ferry, les officiers envoient des
permissionnaires avec pour consigne unique de rentrer avec tous les marins déjà
en ville pour 17h.
Brusquement l’orage s’invite dans ce bel été 14…
Mardi
28 juillet, malgré les conseils de prudence de l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie
attaque la Serbie…
La presse veut encore croire à une médiation : Les chancelleries sont en conversation.
Mercredi 29 juillet, la Russie commence la
mobilisation partielle de son armée pour faire pression sur l'Allemagne. A Toulon, les vieux
cuirassés Bouvet, Gaulois, Jauréguiberry et Suffren rejoignent l'Armée navale. Sur
le Jules Ferry, on s’agite : les
postes de veille sont renforcés, les marins charbonnent, font le plein de
vivres et de matériels, les officiers font de la place pour accueillir de
nouveaux collègues…
Jeudi 30 juillet à Saint-Pétersbourg,
Nicolas II Tsar de Russie décide la mobilisation générale de son armée à partir
du lendemain.
En fin d’après-midi, Jean Jaurès est à la Gare du Nord. Il rentre de
Bruxelles où sa brillante intervention au Cirque Royal, aux côtés de Jules
Guesde, a fait forte impression. Les journaux lui apprennent la mobilisation
russe.
Le brillant Jaurès arrivera-t-il à enrayer le processus |
Dans la soirée, sa rencontre avec Viviani le
rassure un peu. Tard le soir, Léon Jouhaux lui annonce le projet d’une grande
manifestation. Le 9 août est également prévu à Paris le congrès de
l’Internationale socialiste. Non ! Ensemble, ils osent croire que les
peuples n’accepteront jamais de s’entretuer !
Le vendredi 31 juillet 1914, Guillaume
II Empereur d’Allemagne répond au Tsar par un ultimatum. La suite est
hélas bien connue : à 21h43, Jean Jaurès reçoit deux balles dans la tête…
Au
café du Croissant comme ailleurs, les viennoiseries et le café viennois seront
bannies pour longtemps (3) !
le café du Croissant, hier et aujourd'hui |
100 ans après son assassinat, le musée de Castres a rendu hommage à Jaurès, j'y étais |
Le
Lude, samedi 1er août à 15h55. Hélène, les bras chargées
d’une panière de linge, sort de sa maison de la rue de l’Eglise. Elle se dirige
comme à son habitude vers le Château situé tout près du domicile pour la
livraison.
Les cloches sonnent et annoncent 16h. Tout semble
normal et Hélène n’y prête aucune attention… Mais le carillon continue
d’enchaîner rapidement une suite de sons lugubres et monotones. Au loin,
d’autres cloches lui répondent en écho…
Hélène, d’abord surprise, pose sa panière à terre.
Elle croise du regard plusieurs badauds, puis ses yeux se fixent sur le clocher
de l’Eglise. Tout à coup, un vieil homme crie : c’est le tocsin, c’est la guerre !
Ah bah dam,
oh mon Dieu ! crient en patois sarthois les femmes rassemblées autour
de la place.
A
cet instant, Hélène comprend qu’elle ne reverra pas de sitôt ses quatre fils,
tous en âge de partir au front. Immédiatement, une image traverse son
esprit : les prussiens entrant dans l’épicerie familiale 34 ans plus tôt (voir récit n°2)… La peur que
ressentaient ses parents à l’époque l’assaille aujourd’hui.
En
me transmettant ce souvenir, Réjane, ma mère et la petite fille d’Hélène, s’angoisse
immédiatement à l’évocation des sirènes de la déclaration de guerre du 3
septembre 1939. Elle refusera d’ailleurs catégoriquement d’assister au tocsin
de 2014, sonné en mémoire du 1er août 1914.
L'affiche éditée depuis 1904 est apposée vers 17h le 1er 08 14 |
Chacun
garde en souvenir des moments forts de la vie… Je me souviens où j’étais et ce
que je faisais le 11 septembre 2001 en fin d’après-midi. J’ai interrogé mes
proches, tous m’ont aussi donné moult détails sur ce moment. Mais revenons en
1914…
A Lille, une immense clameur éclate de la foule massée Grand’Place… Ce spectacle
émouvant au possible est inoubliable toute la vie (5).
A Dol de Bretagne, c’est par une belle fin d’après midi que j’ai entendu
la petite cloche de la cathédrale. Elle tintait à un rythme inhabituel,
précipité. Tout le monde s’est arrêté, comme pétrifié. On avait compris…
C’était poignant raconte Louis
Maufrais. (6)
A Albine dans la Montagne Noire, toute l’usine de délainage dirigée par Ernest Vidal s’est arrêtée. (7)
A Bressuire, la jeune Renée Bergero, alors âgée de 15 ans, interrompt brutalement sa lecture, elle est surprise par les cris et les éclats de voix qui s’élèvent de la l’épicerie-buvette de ses parents.
Renée Bergero (2ème à droite) avec ses parents devant le commerce familial |
A
Toulon, le jeune marin Antonin Bach se souvient : Je revois
encore l’officier en second de la
Justice, sur le pont de ce navire, les bras tendus vers les
canons qui tirent, les yeux tournés vers son équipage et s’écriant « 44 ans qu’on n’a pas entendu
ce signal ! Allons mes enfants à l’ouvrage ! Et chacun rejoint son poste afin
de prendre les dispositions de combat ». Des permissionnaires
rentrent de terre et montent à bord en chantant La Marseillaise : c’est
sublime ! (8)
Ce samedi 1er août 1914, le Jules Ferry rentre en rade de Toulon après des exercices de tir au
large.
A 16h30, le nouveau commandant de l’Ernest Quinet, Jacques Boissière (9) vient saluer son
collègue Jacques Antoine Cuxac. Les deux officiers se
connaissent bien, ils sont de la même génération et leur carrière est quasi
identique.
Les 2 croiseurs cuirassées vont ensemble affronter la guerre |
Vue du sémaphore sur la rade |
A 16h45, l’émotion des deux officiers supérieurs est à son comble quand, ensemble, ils entendent les batteries du sémaphore de Sicié tirer des coups de canons, signe de l’annonce de la mobilisation générale… A cet instant, ils prennent conscience de leur immense responsabilité. A eux deux c’est plus de 1500 hommes qu’ils conduiront dans cette nouvelle guerre ! Mon grand-père, André Hureau, en fera partie.
La suite dans le récit
n°17
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(1) Clin d’œil, en référence au roman de Victor
Serge : S’il est minuit dans le siècle, (Grasset, 1939).
L’auteur fait référence à une autre horreur de l’Histoire du XXème : le
stalinisme, qui a plongé la
Russie soviétique dans la nuit.
(2) la double : le marin a droit
pour chaque repas à l’équivalent de 0,05 litre de vin ; en signe de
récompense, il est de tradition que le commandant double cette part, d’où l’expression.
(3) Au début de la guerre toute référence à
l’Allemagne ou à l’Autriche-Hongrie est bannie. Le café viennois devient café
liégeois ; la station de métro Berlin est rebaptisée Liège…
(4) Le tocsin est une sonnerie de cloches
publiques pour alerter la population d'un danger imminent tel qu'un incendie,
une invasion, une guerre, mais
aussi une alerte. La grosse cloche - ou une cloche réservée à cet effet et dite
braillarde - est alors sonnée à coups pressés et redoublés (coptés) au rythme
de 60 coups par minute. Cela provoque chez ceux qui l’entendent un sentiment d’empressement et
d’inquiétude. A l’occasion du centenaire de la mobilisation, de
nombreuses communes ont sonné le tocsin … http://fr.wikipedia.org/wiki/Tocsin
(5) Journal de Paul Destombes du samedi 1er août
1914 – architecte retraité vivant à Roubaix. Il tient son journal et nous raconte
sa guerre au quotidien. La Voix du Nord publie chaque jour son récit –
voir sur le site
(6)
extrait du livre de Louis Maufrais : « J’étais
médecin dans les tranchées », Chapitre : le tocsin – 2 août 1914 -
(7) voir le blog sur la vie
d’Ernest Vidal : Un Mazamétain en
14-18 : ernestvidal.blogspot.fr
(8) Le journal Var Matin publie
sur son site le témoignage d’Antonin Bach, marin témoignant ce qu’il a vu le 1er août 1914.(9) BOISSIÈRE Jacques – 48 ans - Entre dans la Marine en 1882, Capitaine de vaisseau le en 1913. Au 1er août 1914, Commandant le croiseur cuirassé Edgar-Quinet.
http://ecole.nav.traditions.free.fr/officiers_boissiere_jacques.htm
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Lecture très agréable ,et contente du lien avec le blog d'Ernest .
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