samedi 2 novembre 2013

André était fait de ce bois-là ! (récit n°4)

Vous pouvez retrouver les précédents récits dans Archives du blog à droite de cet article
Mon grand-père, comme je l'ai connu.

Voici l’image qui illustre bien mes souvenirs d’enfance : 
mon grand-père André, travaillant le bois, légèrement courbé sur son établi. Bien avant que je m’intéresse à son parcours 14-18, il était,  pour moi, avant tout un menuisier. 

J’aimais pousser la porte de son atelier et y découvrir son antre d’artisan. Ces images sont imprégnées des bonnes odeurs de colle à bois et de copeaux fraichement coupés.







Sa dernière caisse à outils
Son pot de colle et ses rabots


Quel plaisir de le voir travailler cette matière si noble, de suivre le va et vient de sa varlope, flanqué de son béret et d’un gros crayon rouge posé à califourchon sur une oreille. Il avait fière allure avec ses  grosses mains si agiles. Ce que j’ignorais à l’époque, c’est que cette dextérité n’était pas innée, elle était l’œuvre d’un long apprentissage de toute une vie.

Ce n'est pas André, mais le geste est le même, le béret et le crayon également.













Dès son enfance, André bénéficie des cours du soir et de dessin dispensés par le directeur de l’école, Monsieur Crétois. A quatorze ans, en 1907, il est embauché comme apprenti-menuisier  dans sa ville natale.


Au Lude, chez l'artisan Monsieur Ridereau (en bas à gauche). André (en haut à gauche)

Les artisans du Lude au XIXe siècle employaient de nombreux compagnons du devoir. C’est probablement la raison pour laquelle beaucoup de jeunes y entamaient leur apprentissage au début du XXe siècle encore, malgré la crise du compagnonnage. André commence son apprentissage au Lude sous la direction de Monsieur Ridereau. L’atelier est situé sur le bord de la rue Basse. Parfois, en passant, les anciens camarades de classe, ceux qui ont poursuivi leurs études, se moquent du tâcheron qui travaille encore le soir, à la lumière d’une lampe à pétrole. 

André (à gauche) à 17 ans à Château-du-Loir. Remarquez la ceinture de flanelle et les sabots.

A 17 ans, il poursuit son apprentissage sur les bords du Loir chez un artisan menuisier de Château du Loir, et élit domicile chez son frère aîné Marcel. Les quatre frères sont restés proches de leurs parents, et les correspondances sont nombreuses : « Chers parents, Deux mots seulement pour vous donner de mes nouvelles qui sont toujours très bonnes … Votre fils qui vous aime. André. Le 22 août 1910 »

carte postale d'André à ses parents, en août 1910

En 1911, André part sur le trimard, le tour de France du compagnonnage à pied. Le voyage doit durer plusieurs années, le temps pour le jeune aspirant de découvrir des nouvelles techniques, de nouveaux employeurs et de mûrir jusqu’à pouvoir élaborer son chef d’œuvre. Cette création unique, à la fois belle et compliquée, lui donnera le statut de compagnon : pour André se sera un escalier.

André a fière allure !
Dans les différentes villes de France, l’accueil des compagnons n’est plus systématique. Bien souvent, André Hureau, parti avec un ou deux camarades, doit dormir à la belle étoile !
Dans leur poche, le passeport compagnonnique qui ne sera brûlé qu’à leur mort : il doit être tamponné dans chaque ville traversée, auprès de chaque employeur. Sur leur dos, la malle à quatre nœuds, la valise du compagnon : un grand mouchoir noué par quatre nœuds et passé dans une canne ! La précise caisse à outils se trouve à l’autre épaule.
Tous les compagnons  d’une même corporation se retrouvent chez la mère, une auberge devenue maison compagnonnique. La mère, c’est aussi le nom de la patronne des lieux. Elle héberge et nourrit l’aspirant, elle le conseille :
« J’ai été un peu malade et le soir le lit était bon » (extrait d’une lettre d’André).
André à Alger

Le Tour de France d’André Hureau l’amena en Indre et Loire : « En ce moment je fais des stalles d’église, je vous assure que c’est un joli travail, surtout pour la pose » écrit-il à sa famille le 28 août 1911. 
Plus tard, il traversa la Méditerranée et découvrit l’Algérie :
 « Tu vois cette poste ? Et bien ces grandes portes, c’est nous qui les avons conçues et installées ! ».
Bien des années plus tard, alors qu’il était au cinéma avec ma grand-mère, il reconnut aux actualités les portes monumentales de la poste d’Alger.




la poste d'Alger, on devine les grandes portes en bois au fond de l'entrée


André avec l'ensemble des compagnons (debout à gauche, les bras croisés avec melon et moustaches)
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Pour en savoir + sur le compagnonnage : http://fr.wikipedia.org/wiki/Compagnonnage
 

A noter : il existe en France plusieurs musées sur le thème du compagnonnage :
• Musée - Librairie du Compagnonnage, 10 rue Mabillon à Paris
• La Maison des Compagnons à Arras
• Le Musée des Compagnons du Tour de France à Bordeaux
• Le Musée du compagnonnage à Tours : http://www.museecompagnonnage.fr/
• La Cité des métiers et des arts à Limoges