samedi 28 juin 2014

Attentat de Sarajevo : revivez la journée du dimanche 28 juin 1914 en images ... (récit n°13)

Le lundi 29 juin 1914, Jaurès relit la UNE de son journal, il fait l'impasse sur le résultat de la première étape du Tour de France, car il est inquiet par un événement !

François-Ferdinand le neveu et héritier de l'Empereur François-Joseph, vient d'être assassiné la veille, le 28 juin à 10h30  ...

A Sarajevo, en Bosnie, au cœur de la poudrière des Balkans !

La Bosnie a été annexée quelques années auparavant par l'Empire d'Autriche Hongrie, les nationalistes serbes ne l'acceptent pas ...
Sarajevo : le lieu du crime, au coin du pont Latin ...



Entre 10h10 et 10h30 : 3 tentatives d'assassinat, la 3ème sera la bonne !
10h10 : Mehemedbasic ne parvient pas à lancer sa bombe. 10H12 : Cabrinovic jette une bombe sur la 3ème voiture, il a cru reconnaitre celle de l'Archiduc ...


A 10h25, la foule salue le cortège

Après la tentative d’assassinat, François-Ferdinand décide d'aller visiter les blessés. Mais la confusion règne, son chauffeur n'est pas au courant du nouvel itinéraire  ...

Gavrilo Princip, nationaliste serbe, est surpris de voir passer le cortège. A 10h30 le cortège fait demi-tour et repasse devant lui ...

Cette fois, Princip saisit sa "chance" et tire sur le couple

Le couple s'effondre  ...

Princip vient d'être arrêté. Face à la foule en colère, les forces de l'ordre sont obligés de le protéger ...


Les corps de François-Ferdinand et Sophie exposés à  Vienne au Palais Impérial.

La tunique militaire que portait l'Archiduc est criblée de balles ...

Le pistolet utilisé par Princip est de la marque "Browning".



L'attentat de Sarajevo sera-t-il l'étincelle ?

Pourtant d'ici quelques jours les enfants de bonnes familles iront à la plage

Et coïncidence de l'Histoire, ce même 28 juin débute la douzième édition du Tour de France. Le matin, les coureurs partent de Saint-Cloud pour relier Le Havre soit 388 km. C'est le belge Philippe THYS de l'équipe Peugeot Wolber qui remporte cette première étape. Il sera d'ailleurs le vainqueur de ce Tour, le 26 juillet 1914. De nombreux coureurs seront mobilisés quelques jours plus tard.




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Et André, ce dimanche 28 juin, où est-il ? 

Que fait-il ?
 
Est-il encore à Bizerte ?

Ou à Porto Vecchio,

ou à Saint Raphaël,

ou à Toulon en permission,

ou est-il à bord du Jules Ferry ?

dimanche 22 juin 2014

André est de corvée de charbon : drôle de carnaval en Baie Ponty (récit n°12)


Samedi 20 juin 1914, Sidi Abdallah - Lac de Bizerte - Tunisie 


Lac de Bizerte - la Baie Ponty




Depuis la mi-mai, le croiseur cuirassé fait escale sur le lac de Bizerte en Tunisie. Les heureux permissionnaires du Jules se font un malin plaisir d’arborer leur bachi barré du nom de leur navire dans les ruelles de Sidi Abdallah ou de Ferryville. Cette ville arsenal construite à la fin du XIXème siècle porte, en effet, le nom de l'inspirateur du protectorat français de Tunisie : Jules Ferry (1).


Le lac de Bizerte : Baie Ponty au Nord - Sidi Abdallah à l'Ouest



Mais André et ses acolytes ne sont pas d’humeur à jouer avec leur bachi à l’heure du branle-bas matinal : ils sont de nouveau de corvée de charbon, ils détestent cela et en plus, la journée s’annonce étouffante.

C’est que les vingt huit chaudières du Jules-Ferry sont voraces. Elles brûlent énormément de charbon même en temps de Paix : plus de soixante tonnes par vingt-quatre heures, à une allure de dix nœuds le jour, six nœuds la nuit. Dans ses soutes, il peut contenir jusqu’à deux milles tonnes de charbon.

Le 4 cheminées brûlent 60 tonnes de charbon en 24 heures

La veille, le Jules a mis le cap sur la Baie Ponty au Nord-Ouest de Ferryville où les chalands remplis de plusieurs milliers de briquettes n’attendent que les consignes pour venir s’accoster le long du bord du croiseur cuirassé.

André le sait, la journée va être longue, sous un soleil de plomb, le charbonnage va durer des heures de l’aube au début de la soirée, durant lesquelles des centaines de tonnes de houille seront chargées dans les cales du croiseur-cuirassé, sous les encouragements peu sympathiques des officiers-mariniers.

Durant cette journée, comme à leur habitude, les officiers supérieurs vont se calfeutrer dans leur appartement. Ils fuient la poussière de charbon comme la peste. Et malheur au matelot qui n’aurait pas fermé une des portes étanches qui leur permettent de s’isoler de la poussière mais pas de la chaleur !

Les bateaux eux-mêmes, leurs cordages et leurs canons, se poissent de noir. Même le pain craque sous la dent, à cause des particules de charbon qui s’immiscent partout.

Aux coups de sifflets et aux cris de «va prendre la tenue de charbon» des officiers-mariniers, tous les matelots ont revêtu leurs habits de bric et de broc et l’on se croirait au carnaval. Certains ont juste mis un caleçon de bain, d’autres ont gardé des habits qui ne craignent plus rien : pantalons déchirés, vareuses en loques, chaussures dépareillées, costumes élimés pour les officiers-mariniers et couvre-chefs improbables.

André est affecté aux soutes d’un navire charbonnier dans lequel sont géométriquement alignées les briquettes : à coups de pelle, il remplit des sacs de cent kilos de charbon qui sont ensuite soulevés par un treuil et déposés sur le pont du croiseur. Par un système de glissières, d’autres matelots font descendre les sacs jusqu’aux soutes. Là, dans les entrailles bruyantes et sombres du navire, dans le dédale des coursives, les matelots tirent les sacs à bouts de bras jusqu’aux soutes. Au bord de celles-ci, dans la faible lumière d’une lampe électrique obscurcie de poussière noire, d’autres matelots déversent le contenu des sacs. 


Équipage faisant le charbon

Les plus à plaindre sont sans doute les soutiers qui sont dans la cale elle-même, chargés de répartir au mieux le charbon qui leur dévale dans la figure, des tonnes de poussière noire qui coupe le souffle et assèche la gorge, s’insinuent partout et goudronne les corps. 

Tout ne se passe pas sans incident. De temps en temps, des briquettes sortent malicieusement de leur sac pour atterrir sur le dos ou sur un pied d’un malheureux compagnon. Heureusement, cette fois, il y avait suffisamment de sacs pour remplir toute la cargaison.

Parfois, en absence de sac,  il faut se passer de main en main les briquettes afin de les remonter des chalands jusqu’aux soutes. L’exercice est encore plus long et plus pénible car les briquettes s’effritent et leurs arêtes sont tranchantes, elles coupent les mains sans gant des marins.

Une briquette de charbon pèse plusieurs kilogrammes

On se croirait dans une caverne de l’enfer (…) Dans les ponts et les batteries, on n’entrevoit que formes sombres qui se meuvent avec des gestes mous ; les pieds nus parcourent à pas feutrés le tapis de charbon répandu sur l’acier (…) attelés aux sacs pesant, des êtres passent, genoux ployés, bras distendus, prunelles et dents blanches dans un masque de nègre qui transpire ; ils halètent ; ils soufflent ; ils souffrent (2).

Et comme à leur habitude et pour se donner du courage, les matelots chantent. L’un commence, un autre lui répond, les voisins reprennent à l’unisson des chansons d’avant-guerre, paillardes pour la plupart, qui donnent du cœur à l’ouvrage. Coupé par le déjeuner, la corvée reprend une heure après et se poursuit, toute l’après- midi sous une chaleur accablante.

Enfin, plus qu’une heure de travail et ce sera fini ! 

André et ses camarades peuvent alors se laver, avec une eau stagnante qui a au moins le mérite d’être adoucie mais qui devient rapidement saumâtre.

C’est alors à un autre spectacle auquel on assiste : le carnaval à fait place à un spectacle naturiste où les matelots prennent un malin plaisir à s’asperger avec les manches à eau salée du pont. Les plaisanteries plus grasses que la poussière de charbon fleurissent de tous côtés sur le pont. Les marins s’invectivent bruyamment. On se remémore les incidents de la journée, les maladresses des uns font le bonheur des autres, et toute la troupe se bidonne allègrement à leurs évocations.

Marins au poste de propreté


La poussière de charbon s'incruste partout !



Puis, les hommes grossièrement démaquillés vont s’affaler dans leur hamac, après avoir suspendu pour la sécher leur tenue de charbon.

 
Accrochage des tenues de charbon pour séchage

Comme à son habitude, le Commandant Durand attribue une ration supplémentaire de vin, c’est la fameuse double tant attendue. André et ses camarades d’infortune apprécient.

Par contre, la conserve de bœuf supplémentaire octroyée également, à cause d'une chaleur éprouvante (dixit cahier des ordres du Commandant) par le Capitaine de Vaisseau Durand n’a pas sa faveur.

Pourquoi ? 

D’après les descriptions lues ici ou là, la recette de cette merveilleuse conserve serait une préparation originale bien connue dans la marine à base de viande de bœuf macérée dans du vin : l’endaudage. Une spécialité rochefortaise !

Je comprends - maintenant - pourquoi dans mon enfance, ma grand-mère avait interdiction de revenir du marché avec du bœuf. La dégustation à grande dose de ces magnifiques conserves avait dégouté à jamais André de cette viande !

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(1) Nous n’ouvrirons pas ici, une polémique sur le rôle « colonisateur » de Jules Ferry, je recommande cependant la lecture du livre de Mona Ozouf « Jules Ferry – la liberté et la tradition » qui défend l’homme politique.

(2) René Milan : « les Vagabonds de la gloire, dans la revue « Le noel » n°1092 du 25 mai 1916.