lundi 19 mai 2014

Léon, Jules et Victor, trois frères d’armes en Méditerranée (récit n°11)


Il était une fois, trois croiseurs bien cuirassés de la même classe, du même nombre de tonneaux et affectés à la même division. Ces trois-là, affublés de quatre cheminées, ne se sont pas quittés durant plusieurs années. Leur port d’attache : Toulon.


 
La rade de Toulon vers 1900


Ces trois croiseurs cuirassés portent pour nom : Léon Gambetta, Jules Ferry et Victor Hugo.

Non, nous n’assistons pas à une joute oratoire au Sénat ou à l’Assemblée Nationale dans les années 1880, mais à des joutes nautiques dans la rade de Toulon quelques années avant la guerre 14/18.

Car il est de tradition que les navires militaires portent le nom d’anciens officiers supérieurs de la Royale ou de personnages célèbres de l’histoire de France. C’est un peu pompeux et grandiloquent, mais à la Royale on ne badine pas avec l’histoire, on fait l’Histoire.

A la fin du XIXème siècle, en pleine IIIème République, il n’est donc pas étonnant que le gouvernement choisisse pour nom Gambetta, Ferry  ou Hugo pour ces navires.

Ils furent rejoints par le Jules Michelet, l’Ernest Renan et par les deux derniers croiseurs cuirassés français baptisés Edgar Quinet et Waldeck Rousseau.

Les croiseurs protégés (ancêtres des croiseurs-cuirassés) sont nés dans les années 1870 en réponse au développement des obus explosifs. Pour protéger le navire et l’équipage, les ingénieurs militaires imaginèrent un bâtiment blindé sur ses flancs et ses ponts, muni d’un double fond et de compartiments étanches, notamment pour les soutes à charbon et les salles des machines.

Le croiseur cuirassé, ou croiseur blindé (développé entre 1890 et 1910) prend la suite du croiseur protégé, qu'il surclassera très vite. Pas moins de 25 navires allaient être construits (1). 

TROIS CROISEURS CUIRASSES AUX QUATRE CHEMINÉES :

Aux débuts des années 1900, les trois croiseurs cuirassés de 12 550 tonneaux de la classe Léon Gambetta sont mis en chantier.

Le Léon Gambetta est mis sur cale à l'Arsenal de Brest en janvier 1901 lancé le 26 octobre 1902 et admis au service actif le 21 juillet 1905 au sein de l'Escadre du Nord. Il passe en Méditerranée en octobre 1909 et y est toujours quand éclate la première guerre mondiale. 

pas d'erreur, c'est le Léon Gambetta

Le Jules Ferry est le second croiseur cuirassé de classe Léon Gambetta de la marine française. Mis sur cale en octobre 1901 à l’arsenal de Cherbourg, le Jules Ferry est mis à flot le 23 août 1903 sans être baptisé en raison de la décision de suppression des cérémonies de baptême que vient de prendre  le ministre C. Pelletan au début du mois de la même année. Il est admis au service actif le 1er juin 1907 au sein de l'Escadre de la Méditerranée.

Mise à l'eau du Jules à Cherbourg

Lancement du Jules sans baptême mais avec trompette














Le Victor Hugo, le troisième et dernier de la série, est mis sur cale à l'Arsenal de Lorient en mars 1903 lancé le 30 mars 1904 et admis au service actif en avril 1907. Il est affecté en Méditerranée mais il est placé en réserve de janvier 1911 à février 1912.





LE JULES FERRY AVANT LA GRANDE GUERRE …

 
Plan maquette du Jules Ferry

Le Jules-Ferry, comme ces deux frères, est un croiseur cuirassé à deux tourelles. Long de 148 mètres, large de 8,2 mètres, haut de plus de 21 mètres, il peut embarquer quelque 750 hommes (2) …

1906 : Des débuts difficiles …

Il commence sa carrière en mars 1906 où il est à l’essai. Début juillet, suite à une explosion de chaudière (2 morts), il est durablement en réparations à Cherbourg. Le 10 août, il désarme partiellement et ne réarme qu'en décembre sous le commandement du Capitaine de Vaisseau Barnouin.

1907 : Arrivée mouvementée à Toulon

Il quitte Cherbourg le 1er février 1907 et arrive à Toulon dix jours plus tard après s'être réfugié quelques jours à Majorque en raison d’une tempête. Le bâtiment a souffert pendant la traversée et il est rentré à l'arsenal dont il ne sort qu'en mai.

Le Jules dans la tempête

Il est admis au service actif le 1er juin 1907 au sein de l'Escadre de la Méditerranée. Le Victor Hugo y est admis en avril. En octobre 1909, le Léon Gambetta rejoint Toulon. 

Ils ne se quitteront plus jusqu’en avril 1915 et composeront la 2ème division légère de Méditerranée.

1909 : le Jules Ferry sauve la vie de milliers d’Arméniens en Turquie (la Cilicie est une province de Turquie)

En avril 1909, des troubles ont lieu en Cilicie (région historique d'Anatolie méridionale), province de Turquie habitée par de nombreux Arméniens. Dans la nuit du 25 au 26 avril 1909, les soldats ottomans vont massacrer les chrétiens, et piller leurs commerces, églises et écoles.

Ces massacres sont le prélude au génocide arménien de 1915-1916.

Les pays européens et les Etats-Unis dépêchent des unités navales pour rassurer et secourir les populations menacées. La France envoie des croiseurs cuirassés sous le commandement du contre-amiral Pivet, le Victor Hugo et le Jules Ferry sont de l’expédition. Leur intervention a permis de sauver plusieurs milliers d’Arméniens. Ces faits ont été relatés par le journal Le Point en décembre 2011 (3).

Pour situer le Cilicie ...






1910 : Le Jules Ferry en visite au Monténégro …

La couverture de la revue Illustration datée du 15 janvier 1910 montre Nicolas 1er, prince-souverain du Monténégro, empruntant l’échelle de coupée du Jules Ferry.

La division naval de l'Amiral Pivet se compose des cuirassés Jules Ferry, Ernest-Renan et du Victor-Hugo.



1911 : le Jules Ferry participe à une revue navale et assiste à la catastrophe du Liberté

Le 4 septembre 1911, une grande revue navale de la flotte méditerranéenne se déroule sous les ordres du Vice - Amiral Jauréguiberry, dont le croiseur Jules Ferry portait la marque, et en présence du Président de la République Armand Fallières (4).

La tragédie du cuirassé Liberté

Le 25 septembre 1911 (5), alors que le Liberté se trouve encore dans le port méditerranéen, un feu localisé près des munitions se propage malgré les efforts des marins pour inonder la soute à munitions. À 5 h 53 le navire explose emportant 200 hommes d'équipage et une centaine de marins des navires les plus proches (dont 6 sur le Léon Gambetta mais aucun sur le Jules Ferry). Le bilan très lourd de cette catastrophe justifie des funérailles nationales. 

Les dernières opérations de renflouement eurent lieu qu’en 1925, si bien que l’épave fut visible par tous les marins des navires entrant et sortant de la rade de Toulon durant tout le conflit de 14/18.

L'escadre française dans la rade de Toulon - x signale l'épave du liberté


1912 : En Méditerranée …

- En mai 1912 : conduit le général Lyautey au Maroc

- En juillet 1912 participe au renflouement de la Percia...

Photo prise d'une tourelle du J.Ferry en 1912


Le vendredi 23 janvier 1914 ...

André pose pour la première fois le pied sur le pont du Jules Ferry ...

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 (1) https://clausuchronia.wordpress.com/tag/croiseurs-lourds/
Mais dès le début du XXe siècle, ils montrent leurs limites. Ils sont lourds et peu rapides, inadaptés à ces nouvelles armes que sont les torpilles, vulnérables face à l’allongement considérable des portées utiles de l’artillerie. Les Britanniques sont les premiers à imaginer, dès 1906, des navires alliant la vitesse du croiseur à la puissance de feu et au tonnage du cuirassé, mais sans la même protection. Speed is armour : la vitesse vaut un blindage, estiment les Britanniques. La Première guerre va confirmer la justesse de leur intuition et la supériorité des cuirassés de type Dreadnought (Dreadnought), qui montreront leur supériorité pendant la guerre


(2) Propulsé par trois machines à pistons développant une puissance totale de 29 000 ch., ce bâtiment, dont les machines et les chaudières atteignait le poids de 1 800 tonnes, fut achevé en 1906. Il affichait une distance franchissable de 12 000 milles marins à la vitesse de 10 nœuds et marchait à 23 nœuds.

Son armement consistait en 4 canons de 194 mm répartis en 2 tourelles doubles (1 avant, 1 arrière), 16 canons de 164 mm (12 montés dans 6 tourelles et 4 en casemates), 22 canons de 47 mm (10 sur le pont des gaillards, 4 sur le pont blindé dans les logements arrières, 4 sur le château arrière, 2 sur la passerelle avant et 2 dans la hune) et 4 tubes lance-torpilles, dont 2 latéraux sous la flottaison.

 (3) http://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/quand-la-marine-nationale-volait-au-secours-des-armeniens-27-12-2011-1412777_53.php


 (4) « Près de quatre-vingts unités y participèrent, soit 19 cuirassés, 10 croiseurs-cuirassés ... Un grand nombre de ces unités, les manœuvres terminées, ne purent se fixer à quai, les places étant limitées. Elles restèrent au mouillage dans la rade, solidement fixées aux coffres, ces grands flotteurs en fer immobiles, éternellement souillés par les goélands ou autres oiseaux de mer. Et cette multitude de navires de guerre, où l'on trouvait les plus gros cuirassés comme la République, la Vérité, la Liberté, considérés à l'époque comme des mastodontes d'acier jaugeant 15 000 tonneaux environ .... Personne n'avait mesuré parmi les autorités civiles ou militaires, le danger considérable de cette concentration d'unités, toutes chargées de projectiles, les soutes remplies de gargousses de cette fameuse poudre B

 (5) http://marius.autran.pagesperso-orange.fr/oeuvres/tome1/cuirasse_liberte.html