dimanche 26 janvier 2014

Janvier 14 : André "bout de bois" termine son apprentissage de marin (récit n°9)


A Brest, comme à Lorient, Rochefort, Cherbourg ou Toulon, et après six semaines au minimum de formation initiale, les nouvelles recrues peuvent prétendre à une spécialité et passer un brevet. 

Fusilier marin et clairon comme Prosper
Des canonniers ou des artificiers ?













Il y a huit spécialités : la conduite du navire, l’artillerie, les corps de débarquement (fusiliers et clairons), le service torpilles et électricité, les machines, l’approvisionnement, le service sanitaire et le service sécurité qui regroupe les charpentiers comme André Hureau. André ne passera pas son diplôme au 2ème dépôt mais dans quelques mois à bord du Jules Ferry.

un charpentier comme André
Maintenant, il le sait, son affectation à Brest n'est pas le fruit du hasard. Bien que l'acier ait remplacé en grande partie le bois dans la construction des navires militaires, la marine a encore besoin de menuisiers-charpentiers-hébénistes : confection ou réparation des lattes de plancher sur les ponts, de passerelles, d'embarcations, de mâts ou de palans, d'échafaudages ... Et leurs attributions sont étendues à de nombreux autres fonctions : peinture de la coque, vernissage, pose de vitre, de linoléum (très à la mode), de buts flottants pour les exercices de tirs à la mer, de décors de théâtre pour des fêtes à bord (et oui !), voire travail du cuir ... Le surnom de ces spécialistes est sans aucune ambiguïté : bout de bois.

Les charpentiers appartiennent au service sécurité où leur dextérité et leur débrouillardise sont très recherchées pour combattre les deux fléaux à bord : l'incendie et les voies d'eau. Dans ces deux cas, la rapidité et la sureté du geste sont déterminantes pour la survie des hommes et du navire.

Cet enseignement fit de mon grand-père un homme de grand sang-froid. Pompier volontaire au Lude après la guerre, il sauva de nombreuses vies dont un curé et sa servante. Mais, je garde ces anecdotes pour plus tard.

Au terme de la formation initiale, mon grand-père sait tirer au fusil, manœuvrer la voilure ou une embarcation légère et faire les nœuds les plus courants. Il y en a un pour chaque situation : le nœud de vache ou d’ajut, facile à dénouer, celui de chaise double, pour affaler un homme le long du bord et travailler dans la mature (photo fig 37), le nœud de gueule de raie pour frapper une manœuvre au croc d’un palan, le nœud d’orin de petite ancre, qui permet de mouiller une ancre avec une embarcation, le nœud d’empennage, pour amarrer une petite ancre à une plus grosse afin de la renforcer

André a du se retrouver dans cette posture de nombreuses fois

Aux ordres du quartier maître : "Laisser-courir !"(expression qui nous viendrait de la marine)
Une attention particulière est portée à la condition physique d’hommes qui devront supporter les conditions de travail très éprouvantes dans la chaleur et le confinement des salles des machines. C'est pourquoi l’exercice physique occupe une place importante dans la formation des matelots : marche, course, saut en longueur et en hauteur, montée de corde, traction, lancer de poids, natation ... 
nager sous les ordres ...
 


















Les six semaines d'apprentissage passent finalement assez vite et mon grand-père semble s’adapter à sa nouvelle vie : Je suis tout habitué au métier militaire, je ne me plains pas trop et je ne maigris pas, écrit-il à sa famille. Sur la carte postale, ce robuste gaillard pose avec ses quinze camarades pendant la traditionnelle corvée de balai.

La photo-carte postale d'André et de ces quinze compagnons



Cette corvée est incontournable pour tous les marins qui doivent se préparer à lutter quotidiennement contre les effets du sel sur leur embarcation.















Aidé de cet instrument composé de branchage de bois de bruyère, les marins, de préférence en groupe et sous la surveillance d'un officier marinier, dépoussièrent, balayent, frottent, lavent à grandes eaux régulièrement les ponts et toutes les parties accessibles de leur navire.

La fin janvier approche et avec elle la fin de la période d'apprentissage au 2ème dépôt. Nos quinze compagnons de la 4ème escouade doivent bientôt se séparer ...

Les quinze se préparent à se dire adieu

Un dernier défilé dans la cour du 2ème dépôt des équipages

Le mercredi 21 janvier 1914, chacun reçoit son affectation définitive, André attend la sienne avec sérénité.

illustrations extraites et adaptées de l'album de Blain





merci au dessinateur Blain













Deux jours plus tard, il doit quitter Brest, ses vents et ses pluies atlantiques (1) pour rejoindre Toulon, ses palmiers et ses odeurs méditerranéennes. Il embarque  sur le Croiseur Cuirassé le "Jules Ferry" qui appareille le lundi 26 janvier 1914.

Sur le chemin de la gare, André n'oublie pas de poster une carte à Marie :  Un beau témoignage d'amour et de fidélité... Tiendra-t-il sa promesse ?

carte à Marie Lescarselle


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(1) Il y a plusieurs types de vent, à Brest, le plus ventant est le vent d’Ouest. Il y a aussi plusieurs types de pluies. La pluie franche et serrée. La pluie douce et bleue qui naît spontanément, la brume de chaleur avec gouttelettes, et bien sûr le crachin atlantique, le préféré des goélands brestois. La cité du Ponant n’est pas peu fière de son crachin mystérieux et confidentiel, où pointe une odeur de muguet. On parle à Brest du silence neigeux du crachin. Très sociable, ce crachin, il n’est pas plus tôt là que les rues se remplissent de bavards, de parapluies.
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Ma Bretagne est une île, une grande île entourée par l’histoire de France, au pays d’Armor, la pointe aiguë du socle européen … Ma Bretagne est le pays du vent, des partances.

Yann Queffélec

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