dimanche 8 décembre 2013

A l’Ouest, il y a du nouveau pour André (récit n°6)

Après deux ans de Tour de France (voir récit n°4), André est devenu un expert en couchage de tout genre : dans un fossé à la belle étoile, ou sur la paille d’une remise. La nuit dans un hamac, il connait, il l’a expérimenté de Marseille à Alger deux ans plus tôt.
« Cette première nuit sur un bateau chamboula ma conception du sommeil pour toujours. Dans cette coquille d’insomnie, ce n’est pas que je dormis mal, je dormis éveillé dans le rêve de quelqu’un qui dorlote un fantôme de cuirassé dans son hamac. Revenu de Brest, je mis du temps à me réhabituer dans un lit. Le hamac était un bateau dans un bateau.»
Yann Queffélec – Dictionnaire de la Bretagne – 2013.

Les apprentis marins couchés dans leurs "branles" avec araignées
André est donc plus étonné qu’impressionné quand il découvre l’immense dortoir sans lit ni armoire du 2ème dépôt de Brest (récit n°5).
Dans les chambrées des apprentis du deuxième dépôt, pas de lit mais des « branles » - surnom des hamacs (1) - crochés pour la nuit avec une extrémité attachée au mur et l’autre à des balustres fixés au sol comme en mer à bord dans les postes d’équipage. Il faut bien s’habituer à la future vie à bord, le ressac et le changement de bordée en moins ! Dans la journée, les hamacs sont repliés et rangés dans des coffres.
Ces lits suspendus se composent d’un double fond en toile à voile muni d’œillets à chaque extrémité, à l’intérieur on y glisse un matelas de laine et de crin ; les allergiques et les chatouilleux s’abstenir.  

Je cite un extrait du Manuel des recrues page 33, appréciez le vocabulaire et la description minutieuse de l’auteur : «deux organeaux sur chacun desquels sont bagués par le milieu neufs bouts de ligne formant les araignées. Un des deux organeaux porter en outre un raban ; c’est celui que l’on met du côté des pieds ; chaque bout des araignées doit être terminé par un œil, épissé de façon à ce que la longueur diminue du milieu aux bords. Tous les brins de l’araignée doivent ainsi forcer l’ensemble.» Et pour passer une bonne nuit à l’abri du froid de l’air marin, on y ajoute «une ou deux couverture de laine suivant la saison.»

Sur les étagères, des espèces de "meule de fromage" : le sac
Sur la photo de la chambrée, outre l’alignement des marins dans leurs hamacs et dans leurs marinières « intemporels et indémodables » qui font toujours, un siècle plus tard, le bonheur d’Armor-Lux,
remarquez ces baluchons en forme de meule de fromage posés sur des étagères au-dessus des têtes des marins.

clin d’œil à Hergé

Le rangement du baluchon … Un véritable casse tête pour André !

Pliage et arrimage des effets : faux plis interdits !

Dans sa chambrée de Brest,  André Hureau s’entraine,  maintes et maintes fois, à faire son paquetage. Sa théorie y consacre plusieurs pages, dessin à l’appui.

Inspection des sacs : ça ne rigole pas ! (doc marius-bar)













C’est qu’il faut de la méthode pour ranger dans cette pièce de toile à enrouler sur elle-même tous les effets réglementaires du soldat ! Ceux-ci doivent être brossés soigneusement et retournés à l’envers avant d’être pliés, puis classés par catégorie et paquetés dans des serviettes. Après de nombreuses remontrances, André a appris à être prévoyant : à l’entrée de son grand sac il a placé un paquet contenant un rechange complet (tricot, chemise, vareuse et pantalon de fatigue) et un autre avec sa tenue d’inspection et de terre.

Extrait du livret de solde d'André : total dette de 163,70 fr
Les habits sont payés via une retenue mensuelle d’habillement, qui se monte à 0F25 par jour et qui est déduite de la solde, laquelle, pour un apprenti-marin, se monte à 0F55 quotidien. «En subissant cette retenue, le marin arrive à payer son sac de 163F70 en vingt-deux mois», expliquent les rédacteurs de la théorie. André devra attendre la fin de l’été 1915 pour l’avoir payé en totalité.



 Que trouve-t-on dans ce sac ? 
Vareuse en molleton bleu
André et sa tenue













Il y a bien sûr, les vêtements : vareuses en molleton bleu, paletots, pantalons de toile blanche, de chauffe (bleu), de fatigue (rousse), et de drap, tricots de laine "Jersey" et chemises, caleçons, chaussettes et demi-bas, vestes de chauffe, cols amovibles, voire chapeau de paille et casque en liège pour les contrées chaudes uniquement.
Les brodequins du marin
Le pantalon
Le sac contient aussi le nécessaire de toilette, la brosse à chaussures, à dents (3) et celle à vêtements, la tasse, l’assiette et les couverts.

Les brodequins et les coiffes sont placés sur les côtés, de part et d’autre du sac. 

Le col amovible vu de dos













Le marquage des effets !

Chaque objet et chaque vêtement sont marqués du numéro matricule  de son propriétaire (105960 pour André), suivi du chiffre indicatif de son dépôt (2 pour Brest).

numéro matricule d'André
Ce numéro doit être imprimé au moyen d’une plaque de marquage délivrée à chaque apprenti. André s’est servi pour cela d’un tampon ou d’une brosse imprégnée d’une encre noire indélébile et non corrosive ou de peinture blanche sur les effets de drap. Pour les souliers, les brosses et les ustensiles de cuisine, il a utilisé un poinçon en acier donnant des caractères de 6 mm de hauteur, et pas un mm de plus. L'emplacement de ce marquage relève également d’une précision toute militaire, l’improvisation est inimaginable, et gare au contrevenant : «le paletot : entre les épaules, à hauteur du milieu de l'emmanchure ; serviettes de propreté : dans le coin supérieur à gauche, au-dessus de la raie rouge horizontale ; les brodequins : en dedans et sur le côté droit de la tige».

Illustration de la disposition des effets avant pliage dans le sac (extrait du manuel d'André)
«Les sacs doivent toujours  être prêts à tout moment pour l’inspection.  Le marin, en bleu avec bonnet de travail, se tient à côté de son sac, ayant celui-ci à sa droite et à hauteur des tricots. De la main gauche, il tient son livret de solde, le nom tourné vers l’officier qui fait l’inspection.»  
Extrait du manuel des recrues



On ne rigole pas dans "La 5ème Bis Compagnie" !

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(1) le Hamac, surnommé « branle » 
 
http://fr.wikipedia.org/wiki/Hamac#Dans_la_marine

Après leur découverte par la flotte de Christophe Colomb en 1492, les Espagnols ont introduit l'usage des hamacs à bord des navires1. Le hamac, surnommé « branle », permettait aux matelots de dormir dans un certain calme, une partie des mouvements des navires étant absorbée par les cordages (les "araignées") qui le suspendaient. Ils étaient partagés entre chaque bordée d'une demi-journée chaque (les tribordais et les bâbordais), les uns laissant leurs places aux autres pour se reposer et réciproquement. De plus, pliés serrés et rangés sur le pavois des bateaux de guerre, ils contribuaient à se protéger des projectiles lors des attaques ennemies (d'où l'expression, « branle-bas de combat »).
Dans la marine nationale française les hamacs ont définitivement été remplacés par les couchettes au début des années 1970. Les couchettes étant en place à demeure, les repas ne pouvaient plus être pris dans les postes d'équipage et les bâtiments furent équipés de cafétérias ou de salles à manger. Le passage à la rampe et le plateau alvéolé avaient remplacé le plat de huit, la gamelle et le bidon.

(2) L’histoire des uniformes des marins de la Royale :


En 1895, le jersey est imposé en guise de veste, tandis qu’en 1901, le bonnet cesse d’être en laine et est confectionné en drap bleu foncé. La circulaire du 12 mai 1911 précise que la chemise de toile blanche avec collet bleu est remplacée par un col amovible de 45 cm de largeur au tombant est et de 25 cm à l’encolure et le bonnet a pris sa forme définitive.

L’apport de La chemise en coton (marinière) fut une véritable innovation moderne : elle se composait de fils écrus et de fils teints à l’indigo formant des raies alternatives blanches et bleues, respectivement de 20 mn et de 10 mn. Son aspect n’a pas changé depuis

(3) la Brosse à dents devient obligatoire en 1876 avec brossage au moins une fois par semaine !