Fin janvier 1914, André a quitté Brest et ses vents d’Ouest pour rejoindre Toulon, port méditerranée. André se souvient de ses premières journée à bord.
C’est en chemin de fer, et non
par la mer, qu’il a rejoint son nouveau port d’attache.
la gare de Toulon et ses palmiers ... |
En sautant du train, il a
retrouvé les mêmes sensations qu’à Alger découvert quatre ans auparavant.
Toulon ressemble à un port d’Afrique du Nord avec ses palmiers, ses odeurs, la
douceur de son climat, son sympathique désordre et sa saleté légendaire. Ici,
ni crachin marin, ni pluie salutaire, pour nettoyer et rincer quotidiennement
les abords des quais.
Sitôt arrivé en gare de Toulon au
petit matin du vendredi 23 janvier, un seul objectif : descendre vers le
port militaire où il est attendu sur le croiseur-cuirassé à quatre cheminées Jules-Ferry.
Avec André, partons à la découverte du Jules Ferry
Long de près de 150 mètres sur plus de 20 mètres de large, ce premier croiseur-cuirassé non baptisé est sorti des chantiers navals de Cherbourg au début du XXème siècle et est arrivé - après quelques péripéties - sept ans plus tôt en 1907 dans son port d’attache, Toulon.
Long de près de 150 mètres sur plus de 20 mètres de large, ce premier croiseur-cuirassé non baptisé est sorti des chantiers navals de Cherbourg au début du XXème siècle et est arrivé - après quelques péripéties - sept ans plus tôt en 1907 dans son port d’attache, Toulon.
En traversant le quartier chaud
du port, pas question pour André de se faire conter fleurette par les
locataires à l’accent chantant et envoutant du futur quartier Chicago (1). Cela
le tente bien, mais il n’en a pas le temps.
Sur le quai, il est accueilli à la coupée (2) par les marins de quart du Jules. Il est de coutume que les hommes d’équipage appellent affectueusement leur cuirassé par son prénom. Tandis que les officiers - par respect - le nomment par son nom de famille : le Ferry.
Accueil à la coupée (merci Blain) |
La coupée du Jules Ferry ... |
De nombreux marins sont venus
accueillir les nouvelles recrus. Sitôt passé la coupée, André est hélé de
toutes parts, à bâbord comme à tribord :
L'accueil des nouvelles recrus suscite la curiosité ... |
- Et toi le moustachu, tu es d’où ?
La tradition est de se renseigner
sur la provenance des nouveaux. Les marins aiment se regrouper par région. Des Sarthois,
il y en a bien quelques uns à bord, mais ici, se sont les Bretons qui dominent.
Il n’est pas rare d’en retrouver plusieurs par village.
- Quelle est ta spécialité ?
Avec l’arrivée des recrus, chacun espère
obtenir des renforts pour son service, dans sa spécialité. Avec André, les
artilleurs ou les torpilleurs seront déçus … André, est un sécuritar, comme apprenti charpentier -
aucune hésitation - direction le service sécurité.
Au même instant qu’il répond à ce
flot de questions, André est saisi par une forte odeur nauséabonde. Il lui
est impossible de la décrire précisément. Mais cette forte odeur le prend à la
gorge. D’après des récits de marins, ce cocktail est un mélange d’odeurs de
graisse, de charbon, de poudre et de sueur ! Et plus on descend dans l’antre du
navire, au plus près des machines, plus cette odeur devient insupportable,
ajoutée à une forte chaleur, cela devient vite infernal. En guise d’air
conditionné, il faudra se contenter de quelques bouches d’aération.
André a le tournis durant cette
première journée, cela n’est pas dû au mal de mer - le bateau est à quai -
mais au transbahutage de bureau en bureau : bureau militaire pour son
enregistrement et la remise de divers formulaires, bureau du fourrier pour son
matériel, bureau des infirmiers pour la visite d’embarquement, bureau de service
intérieur pour l’attribution du rôle de plat (sa table et sa place pour les
repas), rôle de couchage (lieu de couchage et numéro de son hamac), rôle
d’évacuation ...
André devra vite s’habituer pour
repérer chaque espace de sa nouvelle garnison mobile. Les nombreuses coursives recouvertes
de linoléum du Jules devront devenir
vite familières ; chaque numéro de rôle sera mémorisé et énoncé sans
hésitation au Chef qui le questionnera.
Sur un navire militaire, on est rarement seul et tranquille, à tout
instant un chouf (quartier maître de
1er classe) ou un crabe
(quartier maître de 2ème classe) accompagné de son inséparable
sifflet peut surgir et vous désigner d’office pour au mieux une corvée de
pluche ou au pire pour le prochain charbonnage. Mieux vaut ne pas se faire
remarquer et se fondre dans la masse des matelots tous affairés à leur mission.
Le lundi 26 janvier
1914 : premier jour de
navigation d’André sur le Jules Ferry.
Pas d'erreur, ce croiseur cuirassé est bien le Jules Ferry ! |
Aux archives militaires du fort
de Vincennes on a accès à la plupart des journaux de navigation ou de bord des
navires. Ces données sont également lisibles sur le site « mémoire des
hommes ». C’est avec émotion, que j’ai découvert et lu les journaux du Jules
Ferry à Vincennes. Chaque officier de quart doit y tenir à jour chaque
mouvement et observation du bâtiment. Chaque soir, le commandant y note ses
instructions pour la nuit. Sur le Jules, le Capitaine de Vaisseau est à l’époque,
Henri Jacques Durand (3). Le journal de navigation ne jamais quitter la passerelle.
Aux pages du 26 janvier 1914, voici ce que l’on relève :
Extrait du JOURNAL DE NAVIGATION du Jules FERRY
Aux pages du 26 janvier 1914, voici ce que l’on relève :
Extrait du JOURNAL DE NAVIGATION du Jules FERRY
"Lundi 26 janvier 1914 :
De Toulon à Ajaccio - D’Ajaccio à la Ciotat
13h, officier de quart : Albert Maulbon D’Arbaumont (4)
A 13h20 : aux postes d’appareillage
A 13h27: le Jules Ferry appareille
A 13h35 : rejoindre la ligne de file derrière le Léon
Gambetta (vitesse : 10 nœuds)
A 13h37 : fait rompre du poste d’appareillage (vitesse :
14 nœuds)
A 14h22 : commence l’exercice de télémétrie et de
conduite de tir avec le Léon Gambetta et Victor Hugo
A 15h53 : cassé l’exercice – fait route pour rallier le
Léon Gambetta. Le Victor Hugo a liberté de manœuvre.
16h à 20h : officier : pas lisible
Pris le poste à 16h20 derrière le Léon Gambetta à 1000 m
17h : gouverné pour prendre poste à 4 milles à bâbord
et par le travers du Léon Gambetta
18h : stoppé et mouillé deux buts – fait 4 passes pour
effectuer le tir … d’artillerie secondaire
19h20 : lancé une fusée blanche pour indiquer la fin du
tir
19h40 : relevé des buts
19h55 : mis à 70 tours pour rallier le Léon Gambetta (vitesse :
16 nœuds)
20h à minuit
Officier : Pierre Albert
Benet (5)
20h : rallié le L. Gambetta
qui signale … par une fumée rouge
20h16 : à poste derrière le
L. Gambetta en ligne de file – route au N 60 Ouest
Ordre du commandant pour la
nuit :
Route et allures signalées par
l’Amiral (sur le Léon Gambetta), suivre sa position …
Me prévenir de tout incident …
signé : le Commandant Henri Jacques Durand (3)
1h45 : aperçu le feu de
Porquerolles puis ceux du Titan
4h : légers grains de pluie.
7h30 : stoppé et mouillé le
but
7h40 : remis en marche pour la séance préparatoire au tir réduit
n°10."
Voici
donc la description d’une journée ordinaire à la mer en janvier 1914 : en
ligne de file et en compagnie des deux autres inséparables croiseurs cuirassés,
le Léon et le Victor ; exercice de télémétrie et exercice de tir au large
d’Ajaccio ou de la Ciotat.
Ces manœuvres n’occupent qu’une partie limitée de l’équipage.
Durant tout ce temps, les 750 hommes d’équipage et officiers doivent vaquer,
comme André, à de nombreuses tâches ou corvées, certaines utiles d’autres moins.
Jusqu’à
août 1914, les journées vont-elles être aussi ordinaires pour André et ses
camarades ?
Exercice de tir d'un croiseur cuirassé |
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(1) Chaque port
à son quartier chaud : le Quartier Chicago à Toulon. Tel est le surnom
que les marins américains ont donné à ces rues pittoresques après la Seconde Guerre.
Quartier mal famé caractérisé par l’abondance des maisons clauses et des filles
de joie qui les distrayaient pendant les permissions. Une ville portuaire
qu’ils aimaient à comparer à la capitale de l’Illinois, symbole de la pègre et
des trafics d’alcool à l’époque de la prohibition dans les années 30.
En
savoir plus : http://www.mes-annees-50.com/toulon_chicago.htm
(2) La coupée ou échelle de coupée est un
élément mobile qui permet au personnel d'embarquer ou de débarquer des navires.
Elle peut être semi-fixe (articulée au pont) ou volante (mise en place à l'aide
d'un appareil de levage - grue- à un endroit quelconque du pont). Elle est
munie de roues sur l'extrémité qui repose sur le quai. Un filet de coupée
est placé en dessous afin de sécuriser l'accès du personnel à bord.
Échelle de coupée du Jules Ferry |
(3) Capitaine de vaisseau Henri Jacques DURAND (1861 - 1916)
En
1913, Commandant le croiseur
cuirassé "JULES-FERRY". Le 11 août 1914, Commandant le 1er Dépôt des
Équipages de la Flotte
à CHERBOURG.
Henri Jacques DURAND commandant du J.Ferry avant la guerre ... |
(4) Albert Joseph Maulbon D’Arbaumont lieutenant de Vaisseau (1882 -
1978)
http://ecole.nav.traditions.free.fr/officiers_maulbon_albert.htm
Lieutenant de vaisseau le 2 juillet 1913. Au
1er janvier 1914, sur le croiseur cuirassé
JULES-FERRY, 1ère Escadre légère, 1ère Armée navale ;
(5) Pierre Albert BENET lieutenant de vaisseau (1874 - 1954)
Né le 15 janvier 1874 à SAINT-PIERRE, MARTINIQUE - Décédé le
27 avril 1954 à COURNIOU (Hérault). Son embarquement étant fixé au 1er avril
1913 (J.O., 19 mars 1913, p. 2.461). Au 1er janvier 1914, sur le croiseur
cuirassé "JULES-FERRY", 1ère Escadre légère, 1ère Armée navale.