(suite du récit n°24) Retrouvailles de deux pompons rouges sarthois en rade de Brest !

Prosper revient du front belge - André y partira en janvier 1916

A Brest, en octobre 1915, quand Prosper Roiné, mon grand-oncle paternel rentrant du front de Nieuport rencontre André Hureau, mon grand-père maternel en attente d’affectation pour le front belge … Cela donne cela :

 

Prosper, comme un frère ainé, prend goût à raconter à André son périple en territoire belge…

-          « Quand je t’ai quitté sur le Jules Ferry, je pensais être affecté rapidement à la Brigade des fusiliers marins dont les exploits commençaient tout juste à être connus. A Toulon, au 5^ème dépôt, beaucoup d’entre nous avions des fourmis dans les jambes et avions hâte d’en découdre … Mais mon départ a été plusieurs fois retardé. »

-          « Cela t’a peut-être sauvé la vie ! » réplique André.

Dixmude ravagé !

Des combats dans la boue jusqu’aux cuisses par un temps de cochon 

-          « Oui ! Tu imagines, sur les 6500 marins engagés, plus des ¾ ont été tués, blessés ou seront fait prisonniers. Les batailles de Gand, Melle et surtout Dixmude ont été terribles. Les « anciens » me l’ont raconté. Des combats aux corps à corps, dans la boue jusqu’aux cuisses par un temps de cochon et une pluie diluvienne, rien à voir avec cet aimable crachin brestois. Les consignes étaient claires : Tenir, coûte que coûte ! »

-     «Tu te rends compte,  parmi eux, 700 gosses d’à peine 17 ans, des apprentis marins ont combattu à leurs côtés… » (2)

-          « Des mousses ! » l’interrompt André.

Entre la caricature et la réalité, la ressemblance est troublante !

-          « Oui, des mousses ! » « Et ceux qui s’en sont sortis vivants, sont pas peu fiers de raconter leurs exploits… » « Des héros aux allures juvéniles, c’est pour cela que l’on nous affuble de ce surnom de Demoiselles aux pompons rouges. Même les boches nous appellent comme cela, il parait que l’on a retrouvé des lettres destinées à leurs familles où ils nous nomment ainsi. Les zouaves, ils les appellent : les hindous déguisés. Nos pompons rouges ! Cela fait de nous des cibles faciles, qui n’ont rien à envier aux pantalons garance des fantassins. Mais c’est notre fierté, hors de question de l’abandonner.

-          « Oui, c’est hors de question ! »  approuve André

-          « Après Dixmude, et la fin de la guerre de mouvement, il y a eu les combats pour sauver Nieuport et l’accès aux écluses de l’Yser : la Patte d’oie, c’est le nom de cet endroit. Inonder toute la plaine de l’Yser, un vrai coup de génie, cette idée des Belges… Cela a stoppé nette, l’avancée allemande. Depuis le front n’a pas beaucoup bougé entre la mer et Dixmude et l’accès aux ports de Boulogne et Dunkerque leur a été interdit … » (pour en savoir plus, un petit film de la rtbf)

L'inondation de l'Yser a figé le front

 

La patte d'oie : Les écluses de Nieuport, un endroit stratégique pour réguler l'eau

-          « Et le cantonnement, il se trouve où ? » questionne André.

-          « Certains résident dans les caves des maisons éventrées de Nieuport, d’autres dans ce qui reste des villages ou fermes aux alentours, d’autres encore à Oost-Dunkerque. Moi, plus chanceux, à Coxyde, à quelques kilomètres à l’ouest de Nieuport, où ma compagnie est installée. Tu verras à Coxyde-Bains c’est un vrai havre de paix, enfin presque ! Avant la guerre c’était une station balnéaire, les officiers logent dans des hôtels réquisitionnés et parfois on a même le droit d’aller se reposer dans une des villas en face des dunes… on y a déposé de la paille au rez-de-chaussée, aux étages résident des réfugiés…

 … En général, quand il n’y a pas d’offensives ou d’attaques programmées, nous passons 8 jours au front dans les tranchées, deux fois 48h entrecoupées de 4 jours de cantonnement  généralement dans les caves de Nieuport dévasté. On a droit ensuite à 4 jours de rafraîchissement à Coxyde. Enfin ! Ce n’est pas la vie de château, on nous reprend en main avec instruction et exercices… Comme clairon, je dois également de 13h à 15h participer aux répétitions pendant deux heures dans les dunes pas loin du cantonnement.»

Pour visionner les photos de l'espace tradition école navale

Prosper n’a pas tout dit à André. Dans une lettre à sa famille, il explique qu’au moment de son départ en Belgique, un camarade lui a proposé de parler en sa faveur pour lui trouver un travail dans un atelier du dépôt de Toulon : « Je ne peux reculer devant le devoir qui m’oblige à aller servir ma Patrie ...», précise t-il dans son courrier. (1)

Prosper arrive sur les côtes de la mer du Nord, le mercredi 12 mai 1915 avec 500 autres camarades, à un moment où la Brigade vient d’essuyer de nombreuses pertes, suite aux combats des 9 au 12 mai. L’état major avait prévu une offensive afin de gagner du terrain à l’est de Nieuport au lieu dit le pont de l’Union, en avant de Saint Georges. Mais les Allemands prennent les devants et s’en suivent des combats d’offensives et de contre-offensives meurtriers.

Le dimanche 9 mai : 63 tués et 178 blessés dont le plus grand nombre a été atteint non dans les tranchées, mais à Nieuport où les renforts se rassemblaient. A. Thomazi raconte dans Les marins à terre que l’amiral Ronarc’h a été à deux doigts de disparaître. Un obus de 150 est tombé - heureusement sans exploser - entre les pieds de sa chaise où il était assis, il fut renversé et quitte pour un évanouissement de quelques minutes.

Les journées des 10,11 et 12 mai ont coûté à la Brigade 57 tués, 204 blessés et 22 disparus, soit 283 hommes dont 6 officiers ; en y ajoutant les pertes du 9, cela fait 600 hommes en quatre jours. Les arrivées de mai ne comblent pas tous les vides et les pertes.

Deux régiments composent la Brigade. Prosper est affecté au 1^er régiment qui compte trois bataillons dont le 1^er est sous le commandement du capitaine de frégate Lagrénée. Chaque bataillon est composé de quatre compagnies à trois ou quatre sections. Au total l’effectif se situe autour de 6000 hommes.

-          « C’est le 21 mai, je m’en souviens très bien, que j’ai reçu le baptême du feu à terre (1)», explique Prosper.

-          « Le matin, les boches étaient pourtant tranquilles, mais le soir, ça n’a pas été de même. Vers 3 heures de l’après - midi, ils se sont mis à arroser les tranchées de première ligne où nous étions. On nous avait dit de rentrer dans les abris disposés exprès. Heureux que je n’y sois pas rentré ! J’avais voulu voir pour la première fois les effets du bombardement et à 3 heures et demi, l’abri où était mon escouade a été aspergé d’un schrapnell qui a éclaté dedans ; cinq hommes blessés, dont deux assez grièvement. (1)»

-          « Et toi rien ?» s’inquiète André.

-          « J’ai commencé à avoir de la chance ; j’ai reçu de la terre sur moi, mais ce n’était rien… Mais tu sais, la vie de tranchée est très monotone ; tu entendrais presque une mouche voler. La nuit, la totalité de la compagnie est de veille et, le jour, nous ne sommes guère qu’un homme sur quatre ou cinq… (1)»

-          Et de poursuivre « Où il faut veiller le plus, c’est au petit poste avancé. Là, nous sommes en avant de nos lignes, à environ 150 mètres et nous communiquons par un long boyau profond creusé dans la terre. Et, comme les Boches en ont eux aussi en avant de leurs lignes, de ce fait nous ne sommes éloignés d’eux que de 25 mètres tout au plus… La nuit on les entend éternuer !». (1)

La suite au prochain numéro ...  de récit

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(1) extraits de lettres de Prosper Roiné adressées à sa sœur Juliette (lettres retrouvées grâce à la publication de l'ouvrage d'Almire Belin "Livre d'or des saboliens tombés au champ d'honneur" édité en 1921 et réédité en 2015).


Prosper Roiné est mon grand-oncle paternel qui a disparu en mer le 8 décembre 1917 à bord du Bouclier au large de Boulogne-sur-mer. Durant mes recherches j'ai constaté - à ma grande surprise et avec beaucoup d’émotion - qu'il avait croisé auparavant plusieurs fois mon grand-père maternel, André Hureau, à qui je consacre ce blog. Ils ont navigué ensemble sur le Jules Ferry en 1914, se sont retrouvés à Brest entre deux affectations en 1915 et une seconde et dernière fois en juin 1917. A partir de mes recherches, de faits réels et des lettres de Prosper à sa sœur,  j'ai imaginé leurs rencontres. Depuis peu, Prosper Roiné est inscrit au Monument National des marins morts pour la France. Ouest-France y a consacré un article.

Pour en savoir plus : sa biographie sur le site Aux Marins

voir le récit n°23 ou  le site de Ouest-France.

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 (2) Guillaume MARTEVILLE était à peine âgé de 17 ans quand il meurt des suites de ses blessures le 30 janvier 1915. A 16 ans il participe à la bataille de Dixmude. Retrouvez sa biographie sur le site
Aux Marins

Retrouvailles de deux pompons rouges sarthois en rade de Brest ! (récit n°24)

Prosper revient de Nieuport - André y partira prochainement

Prosper Roiné est mon grand-oncle côté paternel qui a disparu en mer le 8 décembre 1917 à bord du Bouclier au large de Boulogne-sur-mer. Durant mes recherches j'ai constaté - à ma grande surprise et avec beaucoup d’émotion - qu'il avait croisé auparavant plusieurs fois mon grand-père côté maternel, André Hureau, à qui je consacre ce blog... A partir de mes recherches, de faits  réels et des lettres de Prosper, j'ai imaginé leurs rencontres, celle-ci se déroule en  ...

Octobre 1915, un dimanche soir de permission à Brest.

En sortant du Pathé Omnia de la rue de Siam, André tombe nez à nez sur Prosper Roiné (récit n°23), une vieille connaissance du Jules Ferry. Cela fait exactement un an, qu’André avait accompagné son copain sarthois à la coupée du cuirassé au moment où celui-ci quittait le navire pour rejoindre Toulon dans l’attente d’une nouvelle affectation (récit n°21).

Qu’importe l’agitation de la rue et le crachin breton qui mouille leurs pompons, rien ne pourrait arrêter les échanges fraternels de nos deux compères : battements  de bras et tapes amicales accompagnent leurs explications.

Il faut se souvenir que nos deux sarthois, dès janvier 1914, ont fait leur classe à bord du même croiseur cuirassé, le Jules Ferry (récit n°10 à 15).

C’est ensemble qu’ils ont prêté serment en rade de Toulon, le 3 août 14 au matin, sur le pont du navire de guerre où sont réunis, à l’appel du Commandant Cuxac, les 900 marins et officiers (récit n°18).

C’est ensemble qu’ils ont participé, aux côtés des trois escadres de la Méditerranée, à la course aux fameux croiseurs allemands, le Breslau et le Goeben (récit n°19). Dans une lettre à sa sœur, Prosper y relate l’aventure : « Le Commandant du bord nous avait appelés avant 9 heures pour nous dire de filer à une bonne vitesse sur Alger, afin de barrer le passage aux croiseurs ennemis ; mais nous avons perdu leurs traces. » (1)

 

Le 19 septembre, c’est encore ensemble dans les eaux de l’Adriatique qu’ils ont vécu, en mer, leur baptême du feu. Durant le blocus de Cattaro (port autrichien sur la côte dalmate), le Jules Ferry a essuyé les tirs des canons austro-hongrois : « Cela tonnait comme il faut et les obus ennemis nous passaient par-dessus la tête où ils tombaient tous à l’eau. Le Patrie en a reçu un dans le flanc ; nous autres, nous avons ramassé deux éclats sur le milieu du pont. », écrit Prosper, et d’ajouter fièrement : « Le Commandant nous a félicités pour notre courage, on pouvait tous écrire chez nous que nous avions eu de la veine de ne pas avoir sauté sur une des mines qui protègent Cattaro… » (1)

Nos deux compères, rejoignent ensemble les bâtiments du 2^ème dépôt où sont attendus les permissionnaires du jour (récit n°5 à 9).

C’est au foyer, quelques jours plus tard, qu’ils poursuivent leur conversation.

André y apprend que Prosper revient de Belgique tout au Nord du front occidental, lieu héroïque, où durant l’automne 1914, 6500 fusiliers marins de la brigade du même nom ont résisté vaillamment aux assauts répétés de l’artillerie et de 40 000 soldats allemands.

-          « Tu t’es porté volontaire ? » questionne André.

-          « Non, je n’ai pas mis mon nom sur la liste qui circulait à Toulon en décembre, mais puisque le sort a voulu que je parte, je suis parti ! » répond Prosper (1).

C’est le 12 mai 1915, que Prosper rejoint Les Demoiselles à pompons rouges, surnom des célèbres fusiliers marins de la Brigade de l’Amiral Ronarc’h.

Ronarc'h de 3/4 de face présente au ministre Lacaze ses fusillers marins de Dixmude qui sont décorés, décembre 1915 (source : wikipedia)

André est très curieux de connaître tous les détails du passage de Prosper chez les fusiliers marins de l’Yser. A coup sûr, la côte belge devrait être sa future affectation.

La suite de ce récit sera publiée rapidement

Pour connaître les exploits des fusiliers marins sur le front belge à l'automne 14, je vous recommande la lecture de cet ouvrage.

(1) extraits de lettres de Prosper Roiné adressées à sa sœur Juliette (lettres retrouvées grâce à la publication de l'ouvrage d'Almire Belin "Livre d'or des saboliens tombés au champ d'honneur" édité en 1921 et réédité en 2015).

Prosper Roiné est mon grand-oncle côté paternel qui a disparu en mer le 8 décembre 1917 à bord du Bouclier au large de Boulogne-sur-mer. Durant mes recherches j'ai constaté - à ma grande surprise et avec beaucoup d’émotion - qu'il avait croisé auparavant plusieurs fois mon grand-père côté maternel, André Hureau, à qui je consacre ce blog. Ils ont navigué ensemble sur le Jules Ferry en 1914, se sont retrouvés à Brest entre deux affectations en 1915 et une seconde et dernière fois en juin 1917. Depuis peu, Prosper est inscrit au Monument National des marins morts pour la France. Ouest-France y a consacré un article, pour en savoir plus : voir le récit n°23 ou sur le site de Ouest-France.